Imaginez une côte battue par le vent, des drakkars qui grincent sur l’eau sombre, et au premier rang de l’armée, non pas un colosse barbu… mais une femme, bouclier brandi, épée levée. On les appelait les skjaldmös, littéralement les « filles du bouclier ».
Figures insaisissables, elles surgissent des sagas nordiques comme des éclairs : mi-réalité, mi-rêve, guerrières d’acier et héroïnes de papier. Entre histoire et légende, elles questionnent encore : ont-elles vraiment existé, ou ne sont-elles que le reflet d’un idéal de courage et de liberté forgé par les peuples du Nord ?
Définition et étymologie des skjaldmös
Le mot skjaldmö (pluriel skjaldmös) provient du vieux norrois skjaldmær, qui signifie littéralement « fille du bouclier ».
Dans les traductions modernes, on rencontre souvent l’équivalent anglais shield‑maiden. Au‑delà de l’image romantique, le terme désigne, dans les sagas, des femmes qui prennent les armes, combattent aux côtés des hommes et, parfois, commandent leurs propres troupes.
À ne pas confondre avec les valkyries, figures surnaturelles chargées de choisir les héros tombés : les skjaldmös relèvent du monde des vivants — héroïnes de chair selon certains, créations littéraires selon d’autres.
Les skjaldmös dans les sagas nordiques
Les sagas regorgent de silhouettes féminines qui bousculent les rôles établis : les skjaldmös y surgissent comme des éclairs, entre héroïnes de chair et figures de légende.
- Hervor, dans la Saga de Hervor et du roi Heidrekr, se travestit en homme, mène des expéditions et réclame l’épée maudite Tyrfing sur le tertre de son père défunt.
- Brunehilde ou Brynhildr, héroïne de la Völsunga saga, skjaldmö associée aux valkyries, incarne le destin tragique des femmes guerrières : amour, serments brisés et chute héroïque.
- Lagertha, mentionnée par Saxo Grammaticus, combat aux côtés de Ragnar Lothbrok et traverse les siècles jusqu’à devenir une icône populaire contemporaine.
- Veborg, à la bataille légendaire de Bråvalla, se distingue par une bravoure exemplaire ; la tradition lui associe la présence de plusieurs centaines de skjaldmös.
- Thornbjörg, dans La Saga de Hrólfr fils de Gautrekr, reine déterminée qui repousse le mariage, revêt l’armure et choisit l’épée pour affirmer sa souveraineté.
- Freydís Eiríksdóttir, fille d’Erik le Rouge, figure des sagas du Vinland : armée, farouche, elle symbolise l’audace des femmes nordiques dans les récits de l’Atlantique.
Qu’elles naissent de la poésie scaldique ou d’une mémoire plus tangible, ces guerrières nourrissent l’imaginaire scandinave en incarnant courage, liberté et transgression.
Histoire ou légende ? Le débat
L’existence des skjaldmös divise encore les historiens. Les sagas nordiques, véritables fresques littéraires, offrent des portraits flamboyants de femmes guerrières, mais qu’en est-il dans la réalité ?
- Les sceptiques, comme Judith Jesch ou Jenny Jochens, rappellent que les sources sont essentiellement littéraires et que les auteurs médiévaux brouillaient volontiers la frontière entre fiction et histoire. Pour elles, les skjaldmös seraient surtout des symboles littéraires.
- Les partisans d’une base réelle, tel Neil Price, considèrent que certaines découvertes archéologiques laissent entrevoir la possibilité que des femmes aient exceptionnellement pris les armes dans les sociétés nordiques.
- Le tumulus de Birka (Suède), fouillé au XIXe siècle puis réinterprété en 2017 grâce à l’ADN, a révélé une tombe équipée d’armes qui appartenait à une femme. Cette découverte redonne du crédit à l’idée que des skjaldmös aient pu exister.
- Freydís Eiríksdóttir, dans les sagas du Vinland, incarne une figure de femme qui combat, effraie ses ennemis et résiste aux hommes, alimentant encore la légende.
Entre mythe littéraire et archéologie fragmentaire, les skjaldmös demeurent des figures-frontières : ni totalement réelles, ni totalement imaginaires.
Skjaldmös et Valkyries : deux figures à ne pas confondre
Les valkyries sont des êtres mythologiques envoyées par Odin pour choisir les guerriers dignes du Valhalla. Créatures surnaturelles, elles chevauchent le ciel, guident les âmes et président au destin des héros.
Les skjaldmös, elles, relèvent du monde des mortels. Guerrières de chair et d’acier, elles prennent part aux combats, partagent les risques et ne décident pas du sort des morts : elles l’affrontent, bouclier levé.
- Valkyries : fonctions divines, choix des morts, dimension psychopompe et visionnaire.
- Skjaldmös : héroïnes terrestres, action guerrière, leadership sur le champ de bataille.
Cette proximité a souvent brouillé les pistes. Certaines figures, comme Brunehilde, oscillent selon les sources entre femme guerrière et valkyrie déchue, nourrissant un imaginaire où l’héroïsme féminin franchit sans cesse la frontière entre réel et mythologie.
L’influence des skjaldmös dans la culture moderne
Des écrans aux festivals, les skjaldmös ont retrouvé une place de choix dans l’imaginaire collectif, entre héroïsme, liberté et puissance féminine.
- Vikings (série) : Lagertha popularise l’archétype de la skjaldmö indépendante, stratège et redoutable au combat.
- Assassin’s Creed Valhalla (jeu vidéo) : possibilité d’incarner une guerrière nordique, écho aux débats sur les femmes combattantes.
- Le Seigneur des Anneaux de Tolkien : Éowyn reprend des traits des femmes guerrières scandinaves, héroïsme et transgression réunis.
- A Song of Ice and Fire / Game of Thrones de G. R. R. Martin : les spearwives prolongent l’imaginaire des combattantes du Nord.
- Thor: Ragnarok (Marvel) : la Valkyrie mêle code mythologique et présence guerrière, nourrissant l’iconographie moderne.
- Fate/Grand Order et adaptations norroises en anime/manga : Brynhildr et d’autres figures féminines guerrières diffusent ces motifs au grand public.
- Northlanders (BD de Brian Wood) : arcs narratifs réalistes et sombres où les femmes combattent, entre histoire et fiction.
- The Elder Scrolls / Skyrim et God of War (jeux vidéo) : cultures nordiques et valkyries popularisent l’esthétique des guerrières du Nord.
- Wardruna, Amon Amarth et la scène métal nordique : paroles, pochettes et clips mobilisent l’imagerie des femmes au bouclier.
- Reconstitutions et festivals vikings : nombreuses combattantes en armure sur les camps, ateliers et combats chorégraphiés.
- Cosplay, tatouages, Pinterest et Instagram : runes, boucliers et tresses guerrières façonnent une esthétique virale et identifiable.
- JDR et GN (jeux de rôle, grandeur nature) : création de personnages de skjaldmös, mixant recherche historique et héroïsme fictionnel.
Des fictions aux pratiques culturelles, les skjaldmös incarnent aujourd’hui un symbole vivant : courage, indépendance et audace à la nordique.
Conclusion : l’écho des skjaldmös aujourd’hui
Entre les pages enflammées des sagas et les découvertes archéologiques qui sèment le doute, les skjaldmös demeurent des figures fascinantes, perchées entre l’histoire et le mythe. Héroïnes de papier, guerrières de chair ou symboles éternels, elles continuent de traverser les siècles pour incarner l’audace et la liberté.
Elles nous rappellent que le courage n’a pas de genre, que les récits du Nord sont tissés d’ombres et de flammes, et que l’imaginaire viking résonne encore dans notre monde moderne.
Si cet héritage vous passionne, plongez plus loin dans notre blog viking et découvrez nos créations inspirées des mythes nordiques. Comme un bouclier levé face au quotidien, les sagas ont encore beaucoup à vous offrir.
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