Qui sont les Varègues ? Les Vikings de l’Est et la Rus’ de Kiev

2 Déc, 2025Culture viking

Sous la brume de la Baltique, leurs navires surgissent comme des ombres d’acier. Ils parlent le vieux norrois, jurent sur leurs haches, mais les chroniques les nomment autrement : les Varègues, ces Vikings de l’Est qui ont préféré les fleuves à l’océan. À chaque méandre, ils lèvent tributs, commercent, pillent parfois, et bâtissent des fortins qui deviennent des villes. C’est ainsi que les scribes slaves racontent la naissance d’un nouvel État : la Rus’.

Plus au sud, on les voit descendre le Dniepr jusqu’à Constantinople. Ils tentent d’abord de l’assaillir, puis finissent par la servir : tuniques bleues, haches dorées, gardiens étrangers du trône byzantin. Et pendant qu’ils veillent sur l’empereur, Novgorod et Kiev s’étendent, enfantant les futurs mondes russes et ukrainiens.

Cet article remonte leur histoire comme on remonte un fleuve, pour répondre à une question simple et immense : qui sont vraiment les Varègues, ces Vikings de l’Est qui ont façonné l’Europe médiévale ?

Sommaire

L’expansion viking vers l’Est : la naissance des Varègues

Tout commence lorsqu’une poignée de Scandinaves décide que l’horizon balte n’est pas une frontière, mais une invitation. En quelques générations, ces navigateurs transforment les rives orientales en un immense carrefour où l’or, les fourrures et les serments d’armes circulent comme le vent sur les eaux.

Des Vikings suédois en quête d’estuaires et de richesses

Ce sont d’abord des hommes venus de Suède, silhouettes robustes accrochées à leurs avirons. Ils traversent la Baltique pour atteindre les côtes de Courlande et les îlots lettons, attirés par la promesse d’ombres mouvantes dans les forêts et le bruit sec des pactes conclus autour des comptoirs. Les sagas évoquent d’ailleurs Egill Skallagrímsson et son frère Thorolfr, partis jusqu’en Courlande pour mêler négoce audacieux et coups de main bien sentis.

Dans ces régions où les Slaves, les Finnois et les Baltes vivent au rythme des saisons rudes, l’arrivée de navires longs change immédiatement le paysage politique. Les Scandinaves installent des postes avancés, testent les routes fluviales, recensent les richesses locales. Là où ils posent les pieds, la géographie se réorganise : des campements se forment, des alliances se nouent, et chaque port devient un point stratégique sur la carte de leurs ambitions.

Très vite, leurs allers-retours deviennent des itinéraires réguliers. Les rivières leur servent de colonnes vertébrales. Les marchés improvisés grossissent. Les chefs locaux s’habituent à ces visiteurs capables de commercer le matin et de lever une expédition le soir même. Ce mouvement continu va bientôt enfanter une structure nouvelle, un début de monde à part entière.

Staraïa Ladoga, première porte d’entrée vers la Rus’ du Nord

Au bord du lac Ladoga se dresse alors un foyer singulier : Staraïa Ladoga. Fondée autour de 753, cette base ressemble d’abord à un simple village fortifié, mais le lieu capte si bien les flux de marchandises qu’il devient rapidement un centre névralgique gardée par une forteresse en pierre.

Des Slaves, des Baltes, des Finnois et des Scandinaves s’y retrouvent, échangent minerais, peaux rares, miel, poissons, armes. Sur les quais, on découvre parfois des sacs remplis de dirhams venus d’Asie centrale, témoins du commerce gigantesque reliant la Baltique aux routes musulmanes. Autour du fort, maisons et ateliers s’agrippent au sol comme des palissades vivantes — et bientôt, ce qui n’était qu’un camp devient une ville, puis un pivot politique.

Ce modèle convainc. Plus loin, d’autres bases jaillissent : fortins de bois, marchés sur pilotis, villages mixtes où l’on parle plusieurs langues. Les chroniqueurs slaves appelleront parfois ces embryons d’États les volosti, des territoires où les Varègues laissent déjà une empreinte tenace.

Les premiers témoins : Anschaire de Brême et les chroniques carolingiennes

Les plus anciens récits européens décrivant cette poussée vers l’Est proviennent des clercs d’Occident. Dans la Vita Anskarii, l’archevêque de Hambourg-Brême, Rimbert évoque une intervention du roi suédois d’Uppsala, envoyé rétablir l’ordre en Courlande et écarter des Danois trop entreprenants. Ce passage montre déjà des Scandinaves capables d’influencer le destin de régions entières bien au-delà de leurs terres d’origine.

Ces écrits dévoilent des hommes habitués aux négociations musclées, aptes à défendre leurs gains sur les fleuves, et suffisamment respectés pour que les peuples voisins surveillent leurs déplacements. À travers les lignes, on devine un Nord turbulent qui avance, explore, s’installe et modifie peu à peu l’équilibre politique de la Baltique orientale.

Lorsque d’autres chroniques apparaissent — slaves, grecques, puis plus tard islandaises — l’image se précise. On y voit des navires fendre la brume, des chefs scandinaves discuter avec les tribus locales, des alliances naître autour de marchés improvisés. Les Varègues ne sont pas encore nommés ainsi, mais tout ce qui deviendra leur monde se met déjà en place.

Qu’est-ce qu’un Varègue ? Guerrier, marchand… et frère d’armes

À mesure que les Scandinaves avancent vers l’Est, un nouveau type d’homme apparaît : plus discipliné qu’un simple pillard, plus ambitieux qu’un marchand isolé. Leur identité s’affine sur les routes fluviales et dans les serments qui lient leurs vies.

Un nom né d’un serment : la “vár”, promesse d’entraide et d’honneur

Les chroniqueurs expliquent que le mot “Varègue” viendrait de la racine norroise vár, ce serment qui scelle la fidélité entre compagnons. Un Varègue n’est pas un voyageur solitaire : c’est un homme lié à d’autres par un pacte de protection mutuelle, une fraternité de route qui transforme chaque expédition en communauté armée.

Dans ces bandes, les chefs émergent naturellement. Ils savent naviguer dans le labyrinthe des rivières, parlent parfois plusieurs langues locales, tranchent les litiges sur les marchés, règlent les alliances avec les tribus slaves et finno-ougriennes. C’est cette capacité à tenir ensemble des hommes venus de régions différentes qui donne aux Varègues leur force singulière.

L’argent venu d’Orient : un appel irrésistible pour les voyageurs du Nord

Ce qui attire d’abord les Varègues dans les terres de la Volga, c’est l’argent. Pas celui frappé en Europe — rare, lent à circuler — mais celui qui coule des mines d’Asie centrale, traverse les steppes, et termine son voyage dans les coffres du khanat bulgare de la Volga. Les dirhams islamiques y s’entassent par milliers.

La Scandinavie, après la chute de l’Empire romain, manque cruellement de métaux précieux. Les Varègues comprennent très vite l’avantage : en maîtrisant les routes de l’Est, ils accèdent au métal qui fait tourner le commerce. C’est cet argent, venu de Tashkent ou d’Afghanistan, qui alimente les trésors retrouvés en Suède et aligne des montagnes de monnaies dans les tombes de chefs.

Traverser un monde fragmenté : tribus, territoires et dangers permanents

Mais ces routes ne sont pas de simples couloirs commerciaux. Entre les rapides du Dniepr, les marais du Nord et les forêts profondes, s’étendent les territoires de peuples fiers : Krivichi près de Smolensk, Drevlianes sur les plaines boisées, Radimitches entre les fleuves, Petchénègues nomades sur les steppes, Khazars à l’est des grandes rivières.

Chaque peuple possède ses chefs, ses coutumes, ses revendications. Pour passer, les Varègues doivent parfois payer, parfois négocier, parfois sortir la hache. Dans ce puzzle politique éclaté, leurs convois deviennent autant de diplomates que de combattants. Ils établissent des accords, récupèrent des tributs, défendent des marchés, et tracent peu à peu des routes sûres à travers une mosaïque de territoires inhospitaliers.

De cette adaptation permanente naît la figure du Varègue : un homme capable de naviguer au milieu des alliances fragiles, de survivre aux embuscades des steppes, et de bâtir sa fortune en reliant des mondes qui s’ignoraient. Un intermédiaire, un chef, un compagnon d’armes — et bientôt, le moteur de villes nouvelles.

Les Varègues et la fondation de la Rus’ : de Riourik à Kiev

À force d’avancer d’un estuaire à l’autre, les Varègues cessent d’être des voyageurs de passage. Ils deviennent des arbitres, des chefs et des bâtisseurs, jusqu’à ce que les peuples slaves eux-mêmes les appellent pour mettre de l’ordre dans leurs querelles. C’est ici que l’histoire bascule.

L’invitation aux Varègues : un appel qui change le destin de l’Europe de l’Est

Dans la Chronique des temps passés, un passage frappe comme un coup d’épée sur un bouclier : les tribus slaves, lasse des rivalités internes, décident de s’adresser aux Varègues pour trouver un prince capable de gouverner. Elles envoient des messagers de l’autre côté de la mer, là où vivent ceux que les Slaves appellent les “Rous”.

Les chroniqueurs racontent alors l’arrivée de Riourik, accompagné de deux compagnons — Sineus et Trouvor — liés à lui par des alliances et des serments. Leur cortège atteint Ladoga puis Novgorod, apportant avec lui une autorité que les tribus locales reconnaissent immédiatement. En 862, l’idée d’un État unifié commence à prendre forme.

Riourik, Sineus, Trouvor : les premières pierres d’un pouvoir durable

Riourik s’installe à Ladoga puis à Novgorod, tandis que Sineus et Trouvor prennent les villes de Beloozero et Izborsk. Les trois pôles créent une ossature politique solide, une colonne vertébrale autour de laquelle les alliances se stabilisent.

La mort rapide de Sineus et Trouvor laisse Riourik maître de l’ensemble. Il impose un cadre, pacifie les environs, exige des tributs, fonde une lignée — la future dynastie des Riourikides — qui régnera sur ces terres durant près de huit siècles.

Oleg le Sage : Kiev devient la “Mère des villes russes”

À la mort de Riourik, la régence passe à Oleg, un chef aussi politique que stratège, chargé de veiller sur Igor, fils de Riourik. Oleg prend la tête d’hommes venus de plusieurs horizons — Scandinaves, Slaves, Baltes — et marche vers le sud.

À Kiev, deux chefs installés là depuis des années, Askold et Dir, tiennent la ville. Oleg les élimine, prend le contrôle de ce carrefour majeur, et déclare : « Que Kiev soit la mère des villes russes. » Ce geste n’a rien d’une simple prise de pouvoir : c’est une transplantation du centre politique, du nord vers la grande route commerciale qui mène à la mer Noire.

La Rus’ prend forme : un réseau de routes, de tributs et de marchés

À partir de Kiev, tout change. La ville devient le cœur d’un système qui s’étire du lac Ladoga à la mer Noire. Les marchands varègues remontent et descendent le Dniepr, croisent les convois venus de Volga, négocient avec les peuples nomades, et transportent des fourrures jusqu’aux portes de Constantinople.

Grâce à cette maîtrise des fleuves, la Rus’ s’organise comme un tissu solide. Les Varègues sont les garants d’un équilibre économique, les intermédiaires entre les cultures du Nord, les tribus slaves et les mondes byzantins et arabes. Les villes grandissent, les marchés prospèrent, et les princes adoptent les usages administratifs venus du Nord comme du Sud.

De cette fusion naît une entité nouvelle, déjà reconnaissable dans les textes : une Rus’ en pleine expansion, dirigée par des chefs varègues mais alimentée par l’énergie des peuples slaves. C’est ce mélange, unique en Europe médiévale, qui donne à la région son identité profonde.

De la Rus’ à la Rus’ de Kiev : essor, apogée et fragmentation

Au fil des générations, la petite constellation de villes dirigées par les Varègues se transforme en une puissance rayonnante. Les rives du Dniepr bruissent de marchés, les tributs affluent, et les alliances donnent naissance à un État qui dépasse largement les ambitions de ses fondateurs.

Une mosaïque de peuples : Slaves, Scandinaves, Baltes et Finno-ougriens

Dans la Rus’ en formation, les identités s’entremêlent. Des familles slaves s’installent près des comptoirs scandinaves, des artisans finno-ougriens trouvent leur place dans les ateliers urbains, et les Baltes commercent sur les quais. Cette coexistence fabrique un monde où les langues se croisent et où les traditions s’influencent mutuellement.

Les Varègues, déjà installés comme chefs militaires et administrateurs, adoptent progressivement les coutumes locales. Le résultat n’est ni une scandinavisation des Slaves ni l’inverse : c’est un métissage culturel qui donne à la Rus’ son visage si particulier, solide comme une forteresse mais souple dans ses alliances.

Le plus vaste État d’Europe au XIᵉ siècle

À son apogée, la Rus’ de Kiev couvre un territoire immense. Des portes de Novgorod aux frontières polonaises, du delta du Dniepr aux régions proches de la Volga, ce domaine forme un arc monumental reliant la Baltique à la mer Noire.

Kiev, centre politique et marché incontournable, attire marchands byzantins, émissaires du califat, ambassadeurs d’Europe centrale. On y échange du miel, de la cire, des armes, des étoffes, et des fourrures qui voyagent jusqu’aux palais impériaux. La Rus’ devient un carrefour géopolitique que l’Occident regarde avec curiosité.

Un héritage disputé : Ukraine, Russie, Biélorussie, qui porte la mémoire de la Rus’ ?

À l’époque moderne, l’héritage de la Rus’ de Kiev se retrouve au cœur de débats passionnés. Trois pays actuels — Ukraine, Russie, Biélorussie — se réclament de cette matrice médiévale, chacun soulignant une partie de l’histoire pour éclairer son identité nationale.

En Ukraine, Kiev est vue comme le berceau naturel d’un État proto-ukrainien. En Russie, la dynastie riourikide et les liens politiques anciens servent de fondation à une continuité historique revendiquée. Les historiens, eux, rappellent que la Rus’ n’était pas la création d’un seul peuple, mais le fruit d’un réseau de cités multiculturelles dirigées par des princes d’ascendance varègue.

Au-dessus des polémiques contemporaines, une vérité demeure : la Rus’ de Kiev n’est pas un héritage monolithique, mais un creuset où se sont rencontrées des cultures venues du Nord, des steppes, des forêts slaves et des mondes byzantins. C’est cette pluralité qui fait encore vibrer son histoire aujourd’hui.

La dynastie des Riourikides : 748 ans de pouvoir

Lorsque Riourik pose le pied sur les rives du Ladoga, nul ne peut imaginer que son nom ouvrira une lignée longue comme un fleuve. Trois quarts de millénaire plus tard, ses descendants règnent encore sur les plaines de l’Est. Une continuité presque inhumaine, tissée de guerres, de mariages, de conquêtes et de coups d’État.

Une lignée fondatrice (862–1610) : le fil rouge de l’Europe orientale

La dynastie commence avec Riourik, chef venu du Nord, et s’achève avec Vassili Chouïsky, renversé en 1610. Entre ces deux noms, des centaines de princes gouvernent villes, forteresses et principautés. La Rus’, puis les États qui lui succèdent, ne se conçoivent pas sans les Riourikides : chaque génération ajoute une pierre à un édifice politique qui se déploie comme une immense forêt d’héritiers.

Les branches de la dynastie se multiplient dès le XIᵉ siècle. À mesure que les territoires s’élargissent, les lignées se divisent, gouvernent des cités éloignées, s’affrontent parfois, mais restent reliées par une même racine. Dans certaines régions, presque chaque ville possède son prince riourikide.

Les figures majeures : princes, bâtisseurs et législateurs

Parmi les centaines de noms, quelques-uns brillent avec une intensité particulière. Vladimir Ier, baptiseur de la Rus’ en 988, transforme le destin religieux de toute la région. Laroslav le Sage codifie les lois avec la Rousskaïa Pravda et fait de Kiev un centre culturel redouté et envié.

Vladimir II Monomaque renforce la cohésion de la Rus’ au moment où les principautés se morcellent. Plus tard, Iouri Dolgorouki fonde la future Moscou, simple fort de bois devenu capitale d’un monde. La lignée continue avec Alexandre Nevski, vainqueur des Chevaliers Teutoniques, puis Ivan III, architecte de l’unification russe. Chaque nom, chaque règne, trace une route nouvelle dans le paysage politique de l’Est.

Les Riourikides aujourd’hui : fragments vivants d’un passé immense

La dynastie n’a pas disparu avec la fin de son pouvoir politique. Des généalogistes, historiens et passionnés ont suivi les ramifications de cette lignée jusqu’à nos jours. On retrouve ses traces dans les familles princières comme les Gagarine, les Rostovski, les Chakhovskoï.

Au-delà des titres, la dynastie survit dans la mémoire collective. Elle symbolise la longue transition d’une région gouvernée par des chefs varègues à un ensemble d’États complexes. Les Riourikides incarnent cette fusion des cultures : une ascendance scandinave devenue, au fil des siècles, profondément slave, chrétienne, puis impériale.

Les Varègues et Byzance : la route du Dniepr jusqu’à Miklagarðr

À mesure qu’ils gagnent du terrain vers le sud, les Varègues découvrent un horizon qui fait briller les yeux de tous les marchands du Nord : Constantinople, “la Grande Ville”, cœur battant de l’Empire byzantin. Pour l’atteindre, ils doivent pourtant affronter l’un des voyages les plus dangereux d’Europe médiévale.

La longue descente du Dniepr : rapides, tributs et embuscades

Chaque printemps, des centaines de Scandinaves, de Slaves et d’alliés baltes convergent vers Kiev. Les embarcations s’alignent comme une armée de coques frêles mais rapides, prêtes à filer vers les eaux plus chaudes du sud. Le convoi se met en marche : la descente du Dniepr commence.

C’est un voyage qui réclame nerfs solides et bras endurcis. Les rapides portent des noms qui sonnent comme des avertissements : Essupi, où dormir devient impossible ; Ulvorsi, où l’eau tourne autour d’une île comme un loup affamé ; Gelandri, dont le rugissement accompagne les bateaux comme une bête invisible. Chaque passage requiert une chorégraphie parfaite entre rameurs, cordages et cimes rocheuses.

Entre deux cataractes, la menace vient des rives. Les Petchénègues surveillent ces convois avec l’œil d’un faucon. Attaques éclairs, embuscades, négociations tendues : le voyage ressemble parfois à une expédition militaire autant qu’à une route commerciale. Ceux qui parviennent à franchir ces dangers savent qu’ils ont gagné un droit précieux : atteindre la mer Noire.

Miklagarðr, la Grande Ville : entre convoitises et traités

Lorsque les premiers Varègues aperçoivent les murailles de Constantinople, la vision doit leur couper le souffle. Jamais ils n’ont vu une ville aussi vaste, hérissée de palais et de coupoles, où le marbre, l’or et les encens écrivent une autre définition du monde.

Les Byzantins, eux, ont une opinion mitigée de ces visiteurs du Nord. Ils admirent les fourrures qu’ils apportent, l’ambre, les esclaves et les armes scandinaves… mais redoutent leur fougue. Les textes grecs racontent leurs assauts, leurs tentatives d’escalader les remparts, et les flottes anéanties par le feu grégeois, ce liquide brûlant qui transforme les vagues en torches.

Pour éviter de nouvelles catastrophes, l’Empire et les Varègues signent des traités : celui de 907, puis celui de 911. Ces accords prévoient des conditions étonnamment favorables pour les hommes du Nord : six mois de nourriture fournie par l’Empire, accès aux bains, matériel de navigation pour le retour, et même un quartier réservé — Saint-Mamas — où ils doivent résider. L’ordre doit être respecté, mais les profits sont immenses.

La rencontre de deux mondes : discipline, diplomatie et ambitions croisées

Entre les marchés, les négociations et les rituels administratifs, Varègues et Byzantins apprennent à coexister. Les premiers découvrent une civilisation d’une complexité qui dépasse tout ce qu’ils ont vu. Les seconds observent ces géants pâles qui manient la hache comme si elle prolongeait leur propre colonne vertébrale.

Constantinople attire, éblouit, impressionne. Mais elle transforme aussi. De nombreux Varègues repartent vers le nord les coffres remplis de dirhams, de bijoux ou d’épices ; d’autres restent, séduits par les promesses d’un service plus prestigieux encore. Certains prendront même place au cœur du pouvoir impérial… un destin qui les mènera tout droit à la section suivante.

La garde varangienne : l’élite nordique des empereurs byzantins

Au bout du Dniepr, certains Varègues découvrent un destin inattendu : devenir les gardiens les plus loyaux de l’empereur de Byzance. Ils laissent derrière eux les rapides et les steppes pour entrer dans un monde de soie, de marbre et d’intrigues impériales.

Un corps d’élite né d’un pacte entre Basile II et Vladimir Ier

L’année 988 marque un tournant décisif. Après un accord entre le prince Vladimir de Kiev et l’empereur Basile II, six mille guerriers de la Rus’ prennent la route de Constantinople. Ce contingent, robuste comme une muraille en marche, permet à Basile II d’écraser les révoltes de Bardas Phokas et Bardas Sklèros.

Impressionné par la discipline, la résistance et l’intégrité de ces hommes venus du nord, l’empereur décide de les intégrer au cœur même de son pouvoir : ils deviennent la garde personnelle du basileus, un rôle confié uniquement à ceux dont on attend une loyauté absolue.

Tuniques bleues et haches colossales : l’apparence d’une légende

Les chroniqueurs arabes décrivent les Varègues comme des géants vêtus de tuniques de soie bleue et de capes écarlates. Leur arme fétiche : une hache à un seul tranchant, aussi haute qu’un homme, capable d’ouvrir un casque comme on découpe une meule de beurre.

Leur équipement s’adapte tôt aux codes byzantins, mais leur allure reste inimitable. Dans les couloirs du Grand Palais, on reconnaît leur démarche assurée, leur accent du Nord, et le claquement sourd de leurs bottes cloutées. Pour les habitants de Constantinople, ils deviennent un symbole : les “barbares fidèles”, ceux que l’or ne corrompt pas.

Campagnes, exploits et fortune : le quotidien des Varègues au service de l’Empire

Les Varègues ne sont pas de simples gardiens immobiles. L’Empire les envoie en Italie pour contrer les Normands, sur les frontières de l’Anatolie pour sécuriser les routes militaires, et même dans des cités rebelles où leur réputation suffit parfois à faire reculer les insurgés.

Certains noms résonnent encore : Harald Hardrada, futur roi de Norvège, qui sert plusieurs années dans la garde avant de rentrer au pays couvert d’or ; Kolskegg Hámundarson, compagnon d’armes mentionné dans les sagas ; ou Bolli Bollason, dont la Saga de Laxdæla raconte le retour triomphal, chargé de richesses et d’honneurs.

Une garde qui évolue, se transforme… et finit par disparaître

À mesure que les siècles passent, la composition de la garde change. Après la conquête normande de l’Angleterre en 1066, des Anglo-Saxons fuient leur patrie et rejoignent Constantinople. Leur nombre devient si important qu’ils dominent progressivement les rangs varangiens.

Aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, l’identité scandinave de la garde s’estompe. On mentionne encore quelques “Varègues” dans les rues de Constantinople, mais la grande époque des haches nordiques touche à sa fin. Reste la légende : celle d’un corps d’élite né dans les brumes du Nord et devenu le rempart le plus solide du trône impérial.

Chronologie essentielle (836–1200)

Pour comprendre l’ascension des Varègues et la naissance de la Rus’, il suffit de remonter quelques dates clés. Chaque étape éclaire un moment où les fleuves, les alliances ou les guerres ont brusquement changé de direction.

836–839 : Premiers contacts avec Byzance

Une ambassade venue du Nord visite Constantinople. Les Byzantins observent ces voyageurs robustes, intrigués par leur audace autant que par leurs ambitions.

859–862 : Riourik s’installe et les tribus appellent un chef

Riourik et ses compagnons prennent Ladoga puis Novgorod. Les tribus slaves, divisées, demandent à ces hommes venus de la Baltique de rétablir l’ordre.

864–867 : Premiers traités et conversions partielles

Des émissaires de la Rus’ se rendent à Constantinople. Certains guerriers se convertissent au christianisme et scellent ainsi l’un des premiers accords politiques avec l’Empire.

882 : Oleg prend Kiev

Oleg élimine Askold et Dir et fait de Kiev le centre politique de la Rus’. La ville devient l’axe majeur entre le Nord et la mer Noire.

907–911 : Les premiers grands traités avec Byzance

Oleg mène une expédition tonitruante jusqu’aux murs impériaux. Les Byzantins préfèrent négocier : des accords très avantageux pour les Rus’ sont signés.

941–945 : Conflits et feu grégeois

Igor de Kiev mène une nouvelle attaque contre Constantinople. La flotte est fauchée par le feu grégeois, arme terrifiante qui marque les mémoires.

964–972 : Sviatoslav Ier, le conquérant

Sviatoslav affronte les Khazars, bouleverse l’équilibre des steppes et mène une campagne audacieuse en Bulgarie. Sa mort ouvre une période de tensions internes.

980–988 : Vladimir le Grand, baptême et consolidation

Vladimir s’impose, unifie les grandes villes et se convertit au christianisme. Le baptême de 988 transforme la Rus’ en puissance reconnue par Byzance.

988 : Fondation de la garde varangienne

À la suite d’un traité avec Vladimir, six mille guerriers du Nord rejoignent l’armée byzantine. Leur discipline impressionne l’empereur Basile II.

1016–1054 : L’âge d’or de Iaroslav le Sage

Sous son règne, Kiev atteint un éclat politique et culturel unique. Lois, alliances, diplomatie : la Rus’ devient un acteur respecté dans toute l’Europe.

1054–1132 : Fragmentation et luttes de succession

À la mort de Iaroslav, les principautés rivalisent. Les Riourikides s’affrontent pour Kiev, qui change de mains à un rythme vertigineux.

1157–1169 : Montée de Vladimir-Souzdal

Iouri Dolgorouki fonde Moscou. Plus tard, André Bogolioubski prend Kiev d’assaut et déplace le centre du pouvoir vers le nord-est.

1200 : Crépuscule de l’unité kiévienne

À l’aube du XIIIᵉ siècle, la Rus’ n’est plus une entité unie. Les cités rivales forment un mosaïque politique vulnérable, bientôt confrontée aux invasions mongoles.

Héritage et culture populaire : l’image des Varègues aujourd’hui

Les Varègues n’ont jamais vraiment quitté la scène. Leurs silhouettes, drapées de laine rude et de fourrures de l’Est, poursuivent leur route dans les séries, les musées, les romans et même les jeux vidéo. Leur histoire se prolonge, nourrie par des découvertes archéologiques et des réinterprétations modernes.

L’héritage historique : une mémoire partagée et disputée

Les historiens aiment rappeler que la Rus’ n’est pas née ex nihilo. Elle se construit grâce à des rencontres documentées : les fouilles de Staraïa Ladoga ont mis au jour des anneaux nordiques typiques, des fibules scandinaves et des dirhams islamiques portant clairement les marques du commerce varègue. À Grobiņa, en Lettonie, les tombes à armes sont presque des photocopies de celles retrouvées à Birka en Suède.

En Ukraine, certains chercheurs mettent en avant des figures comme Oleg le Sage ou Askold et Dir pour affirmer une continuité locale. En Russie, d’autres insistent sur l’héritage direct des Riourikides. Ce débat n’est pas qu’académique : il engage des mémoires nationales et des racines identitaires toujours sensibles.

Les Varègues dans les séries, romans et jeux vidéo

Le public croise aujourd’hui les Varègues sans toujours les reconnaître. Dans la série Vikings, par exemple, l’arc narratif de Ketill Flatnose et d’autres personnages renvoie clairement aux voyages vers l’Est, même si la série romance fortement les faits. Le jeu Assassin’s Creed: Valhalla plonge quant à lui le joueur au cœur de la migration viking vers les territoires slaves et propose même un segment consacré à Constantinople et à la garde varangienne.

En littérature, des auteurs comme James Montgomery ou Robert Ferguson mettent en scène ces marchands-guerriers dans des récits mêlant aventures et documentation historique. Même les mangas et light novels japonais citent parfois les “Rhos” ou les mercenaires nordiques de Byzance : un clin d’œil exotique, mais révélateur de leur aura mondiale.

Festivals, reconstitutions et archéologie vivante

Les Varègues revivent aussi dans les grandes reconstitutions historiques. À Wolin en Pologne, le festival Slavs & Vikings rassemble chaque année des milliers de passionnés. On y voit des drakkars reconstruits d’après les modèles de Roskilde, des ateliers de frappe de monnaies varègues, et même des simulations de traversée du Dniepr avec cordage et halage reproduits à l’identique.

En Suède, à Foteviken, des artisans recréent les haches longues utilisées par la garde varangienne, avec des manches renforcés comme ceux décrits par les chroniqueurs arabes. En Ukraine, à Kiev même, des associations redonnent vie aux marchés du Xᵉ siècle, avec ses fourrures de zibeline, ses poids de balance, ses répliques d’anneaux de Braslav et ses bijoux slaves incrustés d’influences nordiques.

Grâce à ces recherches, à ces festivals et aux œuvres modernes, les Varègues sortent des manuels scolaires pour redevenir ce qu’ils étaient : des voyageurs intrépides, des diplomates armés, et des passerelles entre mondes que tout semblait séparer.

Alors, qui étaient vraiment les Varègues ? Des silhouettes de vent et d’acier, venues du Nord pour tresser leur destin dans les fleuves slaves. Ils ont laissé derrière eux des villes, des routes, des noms gravés dans la pierre… puis ont disparu comme s’efface la rame dans l’eau. Pourtant, leur passage résonne encore : un murmure de haches, de serments et de voyages qui continue de courir sous les cartes de l’Europe.

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👉 Collier Viking Mjolnir d'Or

Monique de Nîmes vient d'acheter :

👉 Bague Viking Jarl

Pauline de Aix en Provence vient d'acheter :

👉 Pendentif Celtique Noeud Triquetra

Benjamin de Montpellier vient d'acheter :

👉 Anneau Viking du Céleste Valhalla

Loïc de Lyon vient d'acheter :

👉 Bracelet Viking la Protection du Vegvisir

Julien de Nîmes vient d'acheter :

👉 Bague Viking Valknut du courage

Marie de Nîmes vient d'acheter :

👉 Ceinture Viking de Ragnar

Éric de Évreux vient d'acheter :

👉 Anneau Viking du Céleste Valhalla

Léa de La Ciotat vient d'acheter :

👉 Ceinture Viking de Rollon

Laurent de Annecy vient d'acheter :

👉 Pendentif Celtique Noeud Triquetra

Romane de Grenoble vient d'acheter :

👉 Bague Viking le Loup des Bois

Jean de Annecy vient d'acheter :

👉 Perles à Barbe Mjöllnir Viking

Hélène de Nîmes vient d'acheter :

👉 Pendentif Celtique Noeud Triquetra

Alexandre de Le Mans vient d'acheter :

👉 Boucles d'Oreilles Viking Jord en Argent

Simon de Montélimar vient d'acheter :

👉 Boucles d'Oreilles Viking Jord en Argent

Chloé de Marseille vient d'acheter :

👉 Boucle d'Oreille Viking Dragon

Frédéric de Caen vient d'acheter :

👉 Anneau Griffes de Dragon en Argent

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