À Gamla Uppsala, la terre ondule sous des tertres qui parlent. Ici, le vieux culte nordique a laissé des traces tenaces. On l’appelle le temple Uppsala, foyer ardent des dieux d’hier. Pourtant, l’histoire vacille entre chroniques, fouilles et légendes. Le temple est décrit comme fastueux par les chroniqueurs. Adam de Brême évoque l’or, le bois sacré et les blóts. Mais l’archéologie nuance, questionne, et renverse nos certitudes. Entre Odin, Thor et Freyr, une Europe change de croyance. Ainsi, mythe et réel s’entrelacent comme une chaîne d’or. Nous vous proposons de suivre la piste, pas à pas, pour comprendre ce lieu puissant.
Gamla Uppsala, un site sacré au cœur de la Suède
Au nord de l’actuelle ville d’Uppsala, s’étend un paysage singulier. Trois tertres royaux dominent la plaine de Fyrisvellir. Ces monticules furent perçus comme les sépultures des anciens rois suédois. Leur silhouette imposante marquait le pouvoir et la mémoire dynastique. À proximité, se trouvait le centre religieux et politique des Svear (tribu germanique du Nord qui habitait le Svealand (« pays des Suédois »). Ici, le culte païen s’unissait aux ambitions royales.
Gamla Uppsala (Vieil Upsal) devint ainsi le cœur sacré de la Suède préchrétienne. Le lieu n’était pas seulement spirituel, il incarnait aussi l’autorité politique. Aujourd’hui encore, les tertres dominent le paysage et impressionnent les visiteurs. Un musée a été installé pour présenter les découvertes archéologiques. Gamla Uppsala attire désormais chercheurs, voyageurs et passionnés de mythologie.
Les textes médiévaux : d’Adam de Brême à Snorri Sturluson
Les récits médiévaux sont nos principales fenêtres sur le temple d’Uppsala. Mais chacun reflète l’idéologie et les intentions de son auteur.
Adam de Brême, un regard chrétien
Écrivant vers 1075, Adam de Brême nous livre la description la plus célèbre du sanctuaire. Son but n’était pas d’être neutre, mais de dénoncer le paganisme.
Il raconte un temple « entièrement recouvert d’or », orné d’une chaîne brillante, entouré d’un bois sacré et d’un arbre toujours vert. Trois statues dominent : Thor, maître des récoltes et du tonnerre ; Odin, dieu de la guerre ; Freyr, dispensateur de fertilité, représenté avec un immense phallus. Adam mentionne aussi des héros divinisés comme le roi Éric, élevé au rang des dieux.
Rituels sanglants et sacrifices
Pour Adam, la violence des sacrifices devait choquer son lecteur chrétien. Son récit demeure pourtant la source la plus détaillée sur ces rites.
Tous les neuf ans, une fête générale réunissait les provinces de Suède. On offrait neuf mâles de chaque espèce, dont les corps étaient suspendus dans le bois sacré. Hommes, chevaux et chiens se balançaient aux branches. Un puits voisin servait aussi au rituel : si l’homme qu’on y jetait disparaissait, le vœu du peuple était exaucé.
Saxo Grammaticus et la diabolisation païenne
Quelques décennies plus tard, Saxo Grammaticus reprit le thème dans ses Gesta Danorum. À son époque, le christianisme était mieux implanté.
Il accentua encore l’aspect sanglant et démoniaque des rites. Pour lui, Uppsala devait apparaître comme le théâtre d’une barbarie condamnée par la foi nouvelle.
Snorri Sturluson et la mémoire des rois-dieux
Snorri Sturluson, en Islande, écrivit plusieurs générations après Adam et Saxo. Il choisit une approche différente.
Dans la Saga des Ynglingar, il présenta Odin, Thor et Freyr comme des rois divinisés, enterrés sous les tertres royaux. Ce procédé permettait de transmettre les mythes sans diaboliser le site. Uppsala devenait alors le cœur dynastique des Svear, où légende et histoire se confondaient.
Culte et rituels : blót, banquet et symboles
En effet, le temple d’Uppsala était au centre des grands rituels païens. Le mot blót désignait les sacrifices offerts aux dieux nordiques. Des animaux et parfois des hommes étaient mis à mort pour apaiser les divinités. Leur sang servait à sanctifier les idoles et les fidèles.
Ensuite, la viande était partagée lors d’un banquet communautaire. Ces festins renforçaient la cohésion et l’ordre social. Chaque offrande liait le peuple aux puissances divines. Les dieux honorés étaient Thor, Odin et Freyr. Thor protégeait des menaces, Odin inspirait les guerriers, Freyr assurait fertilité et prospérité. Un bois sacré entourait le sanctuaire et recevait les victimes suspendues. L’arbre et le puits voisins évoquaient le cosmos nordique. Ils rappelaient Yggdrasil, l’arbre-monde, et la source du destin.
Ainsi, le temple d’Uppsala devenait un reflet miniature de l’univers mythique.
Archéologie et mystères enfouis
Gamla Uppsala est un carrefour où s’entrelacent mythes, rites et découvertes, offrant un regard unique sur la société des Svear.
Les tertres royaux et le Thing
Les trois grands tertres, appelés Kungshögarna (« tertres des rois »), dominent l’horizon. Construits entre 550 et 625, ils symbolisaient à la fois pouvoir et sacralité.
- Östhögen (« tertre de l’est ») : il contenait un jeune prince et une femme, accompagnés d’animaux sacrifiés et d’objets raffinés.
- Västhögen (« tertre de l’ouest ») : il abritait un défunt vêtu de broderies d’or, ceint d’une parure de grenats, et entouré d’objets venus de contrées lointaines.
- Mitthögen (« tertre du milieu ») : il complète ce trio sacré, reliant symboliquement l’est et l’ouest.
À proximité s’élève le Tingshögen (« tertre de l’assemblée »), qui servait de tribune lors des rassemblements politiques et religieux. Les Svear y prenaient les décisions majeures, parfois en destituant des rois comme Inge l’Ancien. Plus au nord, le Nordhögen (« tertre du nord »), partiellement aplani au Moyen Âge, témoigne encore de la monumentalité de ce site.
Les fouilles modernes et découvertes majeures
Entre 2012 et 2014, 70 000 m² furent fouillés, le plus vaste chantier archéologique jamais mené à Gamla Uppsala. Le rapport At Upsalum et le livre de vulgarisation de Kristina Ekero Eriksson ont livré une vision nouvelle de la société : une cité hiérarchisée, foisonnante d’échanges avec le reste de l’Europe.
Les découvertes incluent une halle royale monumentale de 250 m² derrière l’actuelle église. Les chercheurs ont aussi mis au jour deux rangées de piliers colossales, longues de 724 et 862 m. Espacés de six mètres, les poteaux atteignaient huit mètres de haut, consolidés par une tonne de pierres chacun. Au total, plus de 270 pins furent abattus, et près de 300 tonnes de pierres déplacées. Certains piliers étaient peut-être surmontés de têtes de chevaux. À leurs pieds, des restes d’animaux décapités (chevaux, moutons, chèvres) suggèrent des sacrifices. Ces rangées marquaient sans doute une voie de procession pour les rois, ou servaient à impressionner les visiteurs arrivant à Uppsala.
Une société hiérarchisée et connectée
Autour du domaine royal vivaient artisans et paysans dans des maisons-fosses. On y a retrouvé fusaïoles, moulins à main et poids de métiers à tisser. Chaque ferme possédait son autel domestique, preuve que les sacrifices ne se limitaient pas au sanctuaire principal.
Les tombes aristocratiques ont livré des armes, des bijoux de verre importés et des offrandes insolites. L’une d’elles contenait une femme incinérée avec seize animaux et un bijou d’origine italienne. Comme la guerrière de Birka, elle interroge sur la place des femmes dans la société nordique.
Tout autour des tertres, des tumuli plus modestes témoignent de l’existence d’une vaste nécropole, allant peut-être jusqu’à plusieurs milliers de tombes aujourd’hui disparues.
Le choc des religions : de la destruction à la christianisation
Le destin du temple d’Uppsala se joua dans la tourmente de la conversion. Paganisme et christianisme s’affrontèrent pour dominer la Suède.
Les sources rapportent que le roi Ingi Steinkelsson, surnommé l’Ancien fit détruire le sanctuaire vers 1080. Ce geste marqua une rupture politique autant que religieuse. Les anciennes pratiques furent interdites, remplacées par le culte chrétien. Les grands sacrifices publics disparurent, et l’autorité royale s’aligna sur la foi nouvelle.
À la place du sanctuaire païen s’éleva une église. Cette construction avait un double rôle : marquer la victoire spirituelle et effacer l’ancien culte. L’arbre sacré et les processions s’effacèrent, mais le site conserva son aura.
Avec la fondation ultérieure de la cathédrale d’Uppsala, le lieu devint le centre de l’Église suédoise. Ce basculement illustre la manière dont le pouvoir sacré fut réorienté vers le christianisme, tout en conservant la centralité du site.
Héritage et fascination contemporaine
Aujourd’hui, Gamla Uppsala demeure un haut lieu de mémoire et de fascination. Le site attire chercheurs, croyants modernes et voyageurs passionnés de mythologie.
Un paysage historique et culturel
Les trois tertres royaux dominent encore la plaine de Fyrisvellir. Interprétés comme les tombes des rois mythiques Aun, Egil et Adils, ils restent des repères puissants.
Le musée de Gamla Uppsala expose armes, bijoux, objets rituels et propose des reconstitutions du temple et de la vie des Svear.
Chaque année, le Gamla Uppsala Viking Festival réunit artisans, reconstituteurs et familles. On y trouve marchés, duels vikings et banquets collectifs. En hiver, des associations rejouent le Midvinterblot, rite ancien célébrant la mort de l’hiver et le retour de la lumière.
Spiritualité et rituels néo-païens
Pour les communautés Ásatrú modernes, Gamla Uppsala est un sanctuaire vivant. Elles y organisent des blóts saisonniers :
- Le Disablot, dédié aux Dises, divinités féminines protectrices liées à la fertilité et au destin.
- Des cérémonies en l’honneur de Freyja, déesse de l’amour, de la fertilité et de la magie seiðr.
- Des rites dédiés à Frigg, épouse d’Odin, gardienne du foyer et de la maternité.
- Parfois, des blóts à l’équinoxe, célébrant l’équilibre entre lumière et ténèbres, en écho au cycle d’Yggdrasil.
Ces rituels cherchent à relier la communauté aux puissances de la nature et à honorer les anciennes divinités féminines.
Le temple d’Uppsala dans la culture populaire
Son aura nourrit romans, chroniques et reconstitutions modernes. Voici des références vérifiables et marquantes.
- Romans, œuvres historiques et sagas :
- Heimskringla (Ynglinga saga) : Freyr érige un sanctuaire à Uppsala.
- Gesta Hammaburgensis d’Adam de Brême : description du temple et des blóts.
- Viktor Rydberg, Fädernas gudasaga : réécriture mythologique influente en Suède.
- Séries :
- Vikings, épisode « Sacrifice » : pèlerinage et rites à Uppsala.
- Vikings: Valhalla : destruction d’Uppsala par Jarl Kåre.
- Reconstitutions artistiques :
- Carl Larsson, Midvinterblot (1915) : sacrifice du roi Domalde à Uppsala.
- Reconstitutions numériques et VR liées au musée de Gamla Uppsala.
- Expositions et maquettes au Gamla Uppsala Museum.
Merci d’avoir voyagé avec nous jusqu’au cœur mythique du temple d’Uppsala. Continuez l’aventure en explorant d’autres articles de notre blog, où légendes et histoire nordique s’entrelacent encore.
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