Sous les pas des Vikings, la terre n’était pas inerte. Elle respirait, vibrait, nourrissait. Les anciens l’appelaient Jörd, et voyaient en elle plus qu’un sol : une déesse. Mère de Thor, compagne d’Odin, fille de la Nuit, elle relie les dieux au monde des hommes. Discrète dans les récits, mais essentielle dans l’imaginaire, elle incarne la Terre vivante.
Étymologie et noms de Jörd
Le nom Jörd vient du vieux norrois et signifie « terre ». Il plonge ses racines dans le proto-germanique ertho, ancêtre des mots earth en anglais et Erde en allemand. Snorri Sturluson rappelle qu’on pouvait l’évoquer par un kenning piquant : « celle qui partage un homme avec Frigg », allusion à Odin.
Dans les poèmes, elle porte aussi d’autres noms. Sous le nom Fjörgyn, elle évoque la pluie et le tumulte des orages. Sous celui d’Hlódyn, cité dans la Völuspá, elle devient la matrice du tonnerre, mère de Thor. Ces variantes ne sont pas de simples synonymes. Elles révèlent les multiples visages de la Terre : féconde, orageuse, indomptable.
Origines et famille mythologique
Les sagas donnent à Jörd une généalogie singulière. Sa mère est Nótt, la Nuit, et son père est nommé Annar ou Ánarr, selon les manuscrits. De cette union obscure naît la Terre, sombre et fertile.
Plus tard, Jörd s’unit à Odin, le Père des dieux. De leur union naît Thor, le dieu du tonnerre, célébré comme le protecteur des hommes. Un autre fils, Meili, est parfois cité, figure discrète que Snorri mentionne à peine.
Jörd appartient au monde des jötunn, mais elle est intégrée parmi les Ases. Cette double appartenance la rend unique : étrangère par ses origines, mais essentielle dans l’ordre divin.
Rôle mythologique et symbolique
Jörd est la Terre personnifiée. Elle porte les récoltes, nourrit les hommes et abrite leurs tombes. Sa force rassure autant qu’elle inquiète : généreuse, mais capable d’écraser sans remords.
Dans l’imaginaire scandinave, Jörd incarne l’équilibre vital. Elle est la fécondité des champs, la rudesse des rochers, la stabilité du sol et la menace des failles. À travers elle, les vikings voyaient la puissance silencieuse de la déesse de la terre qui soutient ou détruit la vie.
Présence dans les Eddas
Les Eddas sont les principales sources qui mentionnent Jörd.
Dans la Völuspá, elle apparaît sous le nom d’Hlódyn, simple mais chargé de sens. La Lokasenna fait intervenir Loki, qui rappelle à Thor qu’il est « fils de Jörd ». Cette formule souligne que son nom suffisait à affirmer une puissance.
Snorri Sturluson, dans la Gylfaginning, confirme sa place parmi les Ases. Au chapitre 36, il la rapproche de Rind, autre compagne d’Odin, renforçant l’idée d’un statut ambigu.
Dans la Skáldskaparmál, elle vit à travers les kennings. Les scaldes disent « fils de Jörd » pour Thor, ou emploient son nom pour désigner la Terre. Ces détours poétiques lui donnent une présence continue, même sans récit dédié.
Ainsi, les Eddas ne racontent pas d’aventures de Jörd, mais elles rappellent son rôle essentiel. Chaque mention est une trace, un éclat qui rappelle la force du sol dans l’univers nordique.
Analyse et interprétation
Pour les chercheurs, Jörd incarne un motif ancien : l’union du ciel et de la terre.
Sa relation avec Odin et la naissance de Thor rappellent d’autres traditions indo-européennes. En Inde, Indra est né de la Terre et du Ciel. En Grèce, Gaia s’unit à Ouranos pour donner vie aux Titans.
Ces parallèles montrent que Jörd appartient à un héritage commun, partagé par plusieurs peuples. Son origine de géante, puis son intégration parmi les Ases, soulignent son caractère ambivalent. Elle garde un pied dans le monde des forces primordiales et l’autre dans celui des dieux. Cette double appartenance fait d’elle une figure de seuil, à la fois étrangère et nécessaire.
Régis Boyer la décrivait comme une divinité discrète mais fondamentale. Elle n’a pas de grands récits héroïques, mais elle soutient l’ensemble du cosmos.
Dans la poésie scaldique, chaque fois que la Terre est nommée, c’est Jörd que l’on invoque.
Résonances modernes
Aujourd’hui, Jörd continue d’inspirer bien au-delà des sagas.
Dans le néopaganisme nordique, notamment au sein du Community of Forn Sed Sweden, certains blóts saisonniers lui rendent hommage. On lui offre pain, fleurs ou bière, comme pour remercier la Terre de nourrir encore les hommes. Son image se retrouve aussi dans l’art corporel.
Dans la culture populaire, Jörd fait écho :
- L’écrivain Neil Gaiman, dans Mythology Nordique (2017), cite Jörd pour rappeler son rôle discret mais fondamental auprès de Thor.
- Plusieurs cercles écospirituels considèrent Jörd comme symbole de la Terre sacrée. Ils l’emploient dans des discours sur l’équilibre naturel et la protection de l’environnement.
Ainsi, Jörd, silencieuse dans les sagas, renaît comme symbole pour notre époque. Elle incarne la Terre vivante, force fertile et redoutable à la fois. Discrète dans les récits, mais essentielle dans l’imaginaire des hommes du Nord, elle reste un pilier des mythes.
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